Un deuxième échantillon thématique de 24 images de ponts prises en pays « montagnard » et un texte emblématique accompagné de photographies tiré du magazine "L'Illustration" (en annexe). Du fragile pont en liane à l’imposante construction française de métal et de béton sur la rivière Lagna. Les uns n'autorisent que le passage des hommes à pied, les autres permettent aux voitures, aux camions, aux trains et plus tard à des divisions blindées entières de parvenir jusqu’au cœur des hauts plateaux du massif sud-est asiatique1. Dès que l’humain, puis l’humain extérieur s’implante sur les hauts plateaux, le pont est là. Il en existe de tous types, même le frivole à l’image de ces petits ponts d’agrément construits sur les promenades touristiques des chutes, comme celle de Cam-Ly, près de Dalat.
Cet outil de communication peut faire office de métaphore facile : ces ponts ont-ils fonctionné comme des « pont entre les peuples », des médiateurs entre deux cultures – celle des « civilisateurs » qu’ils soient Européens ou Vietnamiens et celle des Montagnards ? Ils ont aussi symbolisé la marque humaine qui vient s’inscrire en travers de la nature qu’elle domine d’un trajet autonome ; souple et périssable dans le cas des ponts de liane autochtones, rigide et indestructible (difficilement même à la bombe, comme l’éprouveront un peu plus tard les Américains dans le vain espoir d’endiguer le flot des combattants communistes venant du Nord !) dans le cas de ceux premièrement construits par les Français.
Nous terminons sur une note plus légère, illustrée par ce cliché de Jean-Dominique Lajoux de graffiti de jeunes gens (des amoureux en contact avec le français : « Leak et Thik » ?) sur les planches de bois du tablier d’un pont qui retrouvent ainsi spontanément le support d’ d’écriture segmenté des feuilles de latanier commun à tout le sud-est asiatique. Puis en musique, avec le clip vidéo de la chanteuse d’origine bahnar, Siu Black, qui tient visiblement, en bonne musicienne, le pont « Has anybody seen the bridge? »2 pour un dispositif non négligeable.
1 - Nous reprenons ce terme proposé par Jean Michaud et d’autres en particulier dans le Historical Dictionary of Peoples of the Southeast Asian Massif, Oxford 2006.
2 - Led Zeppelin – House of the Holy – The Crunge – Atlantic, 1973.
Annexe 1 : LA PÉNÉTRATION PACIFIQUE DANS LES RÉGIONS MOÏS - L'Illustration n° 4754 du 14 avril 1934 - p. 421
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LA FRANCE EN INDOCHINE LA PÉNÉTRATION PACIFIQUE DANS LES RÉGIONS MOÏS
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Entre les confins nord-est de la Cochinchine et le plateau du Darlac, à 200 kilomètres environ à vol d'oiseau de Saïgon, s'étend une zone de forêts habitée par des Moïs insoumis. L'influence française s'arrêtait il y a quelques mois encore, d'une part, au poste Rollon, au Cambodge, près de la frontière de la Cochinchine, et d'autre part, à la rivière de la Srépok, dont le tracé semi-circulaire limite au sud-ouest la zone régulièrement administrée du Darlac.
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Pour pénétrer dans cette région et assurer une liaison permanente et sûre entre Ban Me Thuot, chef-lieu de la province du Darlac, et le poste Maître, isolé dans la zone insoumise, il était nécessaire de construire une piste dont le plus gros obstacle était précisément la Srépok. Cette piste, d'intérêt purement politique, devait d'ailleurs sensiblement épouser le tracé de la grande route coloniale projetée entre Saïgon et Hué par les plateaux moïs, route parallèle à la route Mandarine, plus directe, à l'abri des typhons et dont la partie Ban Me Thuot-Pleiku-Kontum-Dak-Xout est déjà réalisée.
Les données du problème imposaient la solution qui a été adoptée. Sur un tracé étudié par M. Huet, du service des travaux publics, dans des conditions qui lui font le plus grand honneur, M. Destenay, résident de France au Darlac, a fait ouvrir une piste terminée à l'heure actuelle.
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Pour traverser la Srépok, rivière semée de rapides et de cataractes, le service des travaux publics vient d'achever un pont suspendu de 80 mètres de portée. Il est situé dans un cadre admirable, à quelques mètres de la chute de Dray Sap que Maître appelle dans son livre les Jungles Moïs la "Quatrième Cataracte".
Ce pont constitue la meilleure solution technique du problème qui était posé. C'est le premier pont suspendu important réalisé en Indochine. Pour le construire, par ces temps de crise, on a dû faire usage d'éléments disparates prélevés sur les stocks des parcs de matériel de la colonie. Les câbles proviennent d'un matériel de lancement de ponts de chemin de fer ; la poutre de rigidité - un peu trop rigide d'ailleurs - est constituée par des poutres ordinaires de passerelles Eiffel, que tous les sapeurs connaissent bien.
En dehors de quelques ouvriers annamites salariés, la construction des pylones, des massifs d'ancrage et le montage du pont ont été assurés entièrement par des prisonniers détachés du pénitencier de Ban Me Thuot. Intéressés par la nouveauté et la difficulté du travail, ils se sont montrés à la fois attentifs, dociles, de bonne volonté et le pont s'est monté sans fausse manoeuvre.
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L'intérêt de la nouvelle piste n'est pas seulement d'ordre politique et économique ; cette voie de pénétration constitue aussi un circuit touristique intéressant : Saïgon - Ban Me Thuot - Nha Trang - Saïgon. Les amateurs de grandes chasses y trouvent une rare variété d'espèces : tigres, panthères, éléphants, sans parler du menu fretin : sangliers, cerfs, etc., qui abonde en ces régions. En outre, pouvant sans trop de difficultés suivre le cours de la Srépok, ils y rencontreront les paysages grandioses qui récompenseront largement des fatigues. |
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