Soumis par jp.chazal le dim, 2010-12-05 00:06
3 - Introduction... 4 - Un point de vue occidental 5 - Difficultés d'un sujet 6 - Représenter le "sauvage" ?
6/6 - Photographier les Montagnards : Représenter le "sauvage" ? |
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Il a été avancé que la photographie est une rencontre.
Dans notre cas, il s'agit d'une collision entre une société massivement
imagière et d'autres qui le sont très faiblement. On voit bien ici
qu'il est impossible de s'affranchir d'une réflexion sur le
problème de la finalité constitutive de la photographie des indigènes,
qui au même titre que les cartes ou les enquêtes statistiques contribuent à la compréhension et à
l'encadrement nécessaires au système de domination colonial et à ses avatars.
La photographie dans ce contexte témoigne également du
renversement des rapports sociaux de la métropole à l'oeuvre dans le
contexte colonial car, en majorité, les Européens qui s'expatrient
passent du statut de membres des classes défavorisées dans leurs pays
d'origine à une situation supérieure aux indigènes et le manifestent en
adoptant les comportements |
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faits réels,
les peuples qualifiés de « sauvages » et pris en images ont pu
immédiatement nous opposer qu’on leur extirpait leur
esprit (lors d'une prise de vue qui, vu les conditions techniques
prévalants jusqu'au second quart du XXe siècle, ne pouvait sembler
procéder pour eux que d'un rituel inquiétant les ayant
immobilisés dans un arrangement artificiel pendant de longues minutes,
ceci alors que le photographe ne les mettait que rarement en possession
du résultat de l'opération). Et ils pourraient maintenant ajouter que
nos images ont bien constitué un état (et un outil majeur) dans
le processus de leur assimilation/digestion, même si les sociétés
occidentales ont eu la prudence de ne pas les représenter en situation
d'être consommés, ne serait-ce que métaphoriquement, par les
"civilisés". |
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Jeune homme accroupi devant une jeune femme avec bébé dans l'ouverture d'une petite maison filmés par un blanc. René Têtard, vers 1919
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prédateurs de leurs propres classes dominantes. La chasse aux
animaux sauvages florissante dans un environnement de jungles épaisses se double
rapidement d'une chasse aux trophées imagiers exotiques - le safari devient
"safari-photo". Bien qu'exotique, le tableau
de chasse se satisfait cependant globalement du conformisme des
thèmes et des situations de prise de vue caractéristiques de la
photographie populaire en train de se développer en métropole. On fait
alors du même avec de l'autre, comme de l'autre avec du même.
Le sauvage mangé par l'image
Nous connaissons tous ces images et ce mythe des sauvages cuisant (dans
un imposant chaudron) l’explorateur blanc dans le but de
s’en repaître. Si jamais ceci a pu trouver pour base des
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En résumé, si l’on a pu dire que la photographie
était, en matière de représentation, un indice ou une trace analogue à
la fumée signalant qu’un feu avait (ou avait eu) lieu, alors peut-on
avancer qu’en représentant le sauvage, c’est de fumet dont il s’agit,
car sa consommation fut et reste délectable.
En conclusion, les morts vous parlent ici, et
nous, metteurs en scène et spectateurs de cette prosopopée
électronique, devons payer notre tribut et participer à cette moderne et virtuelle cérémonie d'abandon de la tombe
à laquelle nous espérons que les descendants des montagnards
photographiés voudront bien nous convier. Ils nous expliqueront les
significations qui nous auront échappé et nous rappeleront peut-être
de prendre garde à ne pas faire dériver ou surinterpréter les bribes qui nous
restent, tout particulièrement dans un contexte propice aux nostalgies 1
de toutes sortes. |
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1
- "Peut-être faudrait-il se demander si le relatif manque d'imagination,
sensible dans ces photographies, ne transfère pas la fonction de réflexion
imaginative des artistes et sujets - là où l'historien a coutume de la
chercher - au spectateur, incité par ce type d'images à regarder au
delà des apparences." Certes, lorsque j'observe une photographie d'un être
cher, je vois ce que mes proches étaient autrefois, mais je projette aussi
sur l'image les sentiments que j'éprouve à l'égard de cet être-là.
L'instantané convoque, dans un même regard synthétique, ce qu'ils étaient
alors et ce que je suis maintenant.
- Les snapshots
- Geoffrey Batchen in Etudes
Photographiques n°22 2008.
- University of Hawai'i Press, Honolulu 2003.
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Jean-Pierre Chazal - Tous droits réservés 2010
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